La Savoie, berceau de l’archéologie glaciaire en France, renferme potentiellement de nombreuses traces du passage d’anciennes populations par ses cols englacés. Une mission dont chacun doit prendre conscience de l’importance et de l’urgence.
Certainement moins connue du grand public que l’archéologie classique, l’archéologie glaciaire n’en est pas moins tout aussi essentielle. On la qualifie même d’archéologie d’urgence. En effet, les glaciers sont des lieux de conservation exceptionnels des vestiges du passé (objets en bois, en fer, tissus, corps humains, etc.), si bien que lorsqu’un objet est découvert, une course contre la montre se joue afin d’éviter qu’il ne soit soumis à une décomposition rapide une fois à l’air libre. La finalité demeure l’étude de ces pièces, témoins du passé, afin de comprendre au mieux les activités et les modes de vie des hommes et des femmes ayant vécu sur ces terres. « L’archéologie glaciaire peut s’effectuer sur une période très limitée de l’année, entre août et octobre, à savoir entre la fonte des neiges et les premières retombées. Dans des conditions de travail plutôt extrêmes, soumises aux contraintes de l’alpinisme de haute montagne et de l’altitude », confie Éric Thirault, professeur à l’université Lumière Lyon 2, organisateur de campagnes de recherche d’archéologie glaciaire en Savoie depuis 2007, financées en partie par le Département.
L’archéologie glaciaire, c’est une archéologie du modeste. Parmi la myriade d’objets communs, on peut parfois avoir la chance de tomber sur un morceau de chaussure en cuir datant du Moyen Âge, une pièce rare à la valeur inestimable en tant qu’objet scientifique. Avec les différents objets retrouvés, on a petit à petit compris que les cols étaient empruntés par des populations pour réaliser du commerce de sel, de tabac ou encore d’animaux. Avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, les découvertes s’accélèrent depuis plusieurs années. Des espaces englacés depuis le Moyen Âge sont de nouveau visibles. Il y a fort à parier que, dans quelques décennies, les glaces auront livré leurs secrets et qu’il n’y aura plus beaucoup de pièces à découvrir : « Ainsi, il est important d’agir aujourd’hui et de sensibiliser les professionnels de la montagne et les alpinistes au sujet de l’archéologie glaciaire. C’est un travail collaboratif car chacun peut être amené à faire une découverte archéologique et doit être prêt à agir de la bonne manière. Il s’agit de la sauvegarde de notre patrimoine historique commun et de restituer un passé qui nous appartient à tous. »
La statue découverte en 2003 sous le passage du Colerin vers 3 200 m d’altitude.
Crédit : Léon Personnaz, 2017.
L’archéologie glaciaire est une discipline récente, mise en lumière en 1991 lorsque le corps d’un homme momifié datant du Néolithique, baptisé Ötzi, a été révélé par hasard à 3 000 mètres d’altitude, en Italie, suite à la fonte d’un glacier. Cette prise de conscience que la glace pouvait conserver aussi longtemps un corps a lancé la dynamique un peu plus tard en France, en commençant par la Savoie. Ainsi, en 2003, une statue a été découverte, de manière totalement fortuite par un alpiniste, sous le passage du Colerin à Bessans. Quatre ans plus tard, Éric Thirault a lancé sa première mission d’archéologie glaciaire en Savoie, lieu pionnier et laboratoire pour la discipline en France : « C’est un travail de longue haleine, qui se poursuit d’année en année. On ne sait jamais vraiment si on va trouver quelque chose et ce que l’on va potentiellement découvrir. On tombe régulièrement sur des objets perdus par accident par les populations ayant traversé les cols, comme des manches en bois, des fagots pour le chauffage ou des petits outils. Cela donne des informations sur la vie quotidienne de ces courageuses populations dont la vie économique et sociale s’articulait autour de ces cols. »
Un tour de chaussure découvert sous le col de l’Autaret et daté entre 990 et 1160 de notre ère (Moyen Âge) par le radiocarbone.
Crédit : ET
L’objet doit être déclaré auprès des services de l’État (Service régional de l’archéologie de la région Auvergne Rhône-Alpes). Il est aussi possible de contacter la Conservation départementale du patrimoine de la Savoie ou directement des professionnels du sujet comme Éric Thirault. Prenez des photographies, en mettant en scène un objet connu pour se rendre compte de l’échelle, et notez l’emplacement GPS exact. Si l’objet n’est pas transportable, laissez-le sur place. Ne tardez pas, il en va de sa conservation !