Haute-Maurienne : sur les traces du télégraphe Chappe

Mis au point par Claude Chappe (1763-1805), physicien originaire de la Sarthe, au cœur de la tourmente révolutionnaire, ce serait le premier système de télécommunications au monde ! Fondé sur la transmission de signaux optiques, il comptait 16 postes relais en Savoie sur la ligne stratégique Paris-Milan. Trois d’entre eux ont été restaurés en Haute- Maurienne et se visitent chaque été, à Saint-André, Avrieux et Sollières-Sardières.

Remontons le temps : fin XVIIIe, début XIXe, la France, encerclée par ses ennemis coalisés, ressent la nécessité de bénéficier d’un système de transmission rapide des messages. Les premières lignes télégraphiques sont créées dans ce contexte. Depuis Paris, elles relient d’abord Lille (1794), puis Strasbourg (1798), Brest (1799) et Lyon (1806). En quelques années, 5 000 km de réseau et près de 533 stations sont mis en place, couvrant une partie importante du territoire français. Et l’épopée de la télégraphie Chappe passe par la Savoie…

Allô Venise ? Ici Paris !

Début du XIXe siècle : la reprise possible des hostilités avec l’Autriche, alliée de l’Angleterre, menace. Napoléon Ier ordonne la mise en fonction urgente de nouveaux tronçons de la ligne télégraphique pour relier Paris à Milan, par Lyon et Turin. Ce sera chose faite avec des prolongements jusqu’à Turin en 1806, jusqu’à Milan en 1809 et finalement jusqu’à Venise en 1810. Étalée sur quelque 1 200 km, cette nouvelle ligne de communication permet de relayer des messages en 24 heures contre au minimum 5 jours à cheval auparavant. C’est ainsi que la naissance à Paris du roi de Rome, fi ls de Napoléon 1^er et de Marie-Louise, le 20 mars 1811 à 9 h du matin, fut connue à Milan dès le lendemain à la même heure ! Cette liaison télégraphique vers l’Italie fonctionnera jusqu’à la restauration du royaume de Piémont-Sardaigne (1814-1815) avant d’être abandonnée.

Des postes « haut placés »

Sur les 124 stations du parcours total, 16 postes sont positionnés en Savoie, répartis de l’Épine au col du Mont-Cenis, dont 13 édifiés en Maurienne. Longtemps, à part des noms de lieux évocateurs comme le col et le fort du Télégraphe à Valloire ou la pointe du Télégraphe à Montdenis, toutes traces des bâtiments et tous souvenirs avaient disparu. C’est grâce à la mobilisation d’associations locales que les postes mauriennais ont pu être localisés et des vestiges retrouvés au début des années 2000, d’abord à Sollières-Sardières (2002), puis à Saint-André et Avrieux. Mollard-Fleury, Plan de l’Ours, Courberon : trois stations haut perchées, toutes isolées, à plus de 1 800 m d’altitude, où se succédaient 365 jours par an des gens du pays, habitués à la montagne, les seuls à pouvoir supporter les très rudes conditions climatiques ! Réhabilitées, avec le soutien du Département, elles se visitent en période estivale et reprennent même du service quelques journées par an.

Effets d’optique

Par ces postes transitaient le courrier officiel de l’Empereur et les ordres des opérations militaires stratégiques sans qu’en bas, au fond de la vallée, les habitants ne puissent rien en décrypter… Mais comment fonctionne le dispositif Chappe ? Le système repose sur l’échange de signaux optiques « écrits » dans les airs par deux ailes fixées au sommet d’un mât de 7 à 8 mètres de hauteur et manipulées par les stationnaires grâce à un jeu de poulies et de câbles. Chacune des différentes combinaisons de positions possibles correspond à un chiffre, qui correspond lui-même à un des 8 464 mots ou groupes de mots codifiés ! Le secret de ce vocabulaire était jalousement gardé : les signaux étaient inintelligibles pour les opérateurs intermédiaires, seules les têtes de ligne pouvaient coder ou décoder les messages. Pour observer les signaux émis, reproduits de poste en poste, les stationnaires étaient équipés de lunettes spéciales, grossissant de quarante à soixante fois. Un système fiable et efficace… sauf la nuit et par temps de brouillard, ce qui aurait eu une importance considérable dans l’histoire de France !